Nous sommes nombreux je crois à trouver le temps long.
Les contraintes nous pèsent et nous sommes plus tentés que jamais de privilégier notre confort personnel aux promesses de préservation du bien-être collectif. L'insécurité est également plus marquée et avec elle les angoisses de mort, de la perte de contrôle, la peur du changement. Et la peur, on le sait, mène à la réactivité immédiate. Cela découle de notre capacité à enclencher un réflexe de survie afin de nous protéger. Combattre, fuir rapidement ou être tétanisé. La pensée rationnelle est alors reléguée au second plan. C'est physiologique, on y peut rien. Mais les mécanismes de survie consomment bien trop d'énergie pour rester actifs en continu. Ce n'est donc pas notre manière d'être par défaut. Profitons alors des moments où il nous est offert de ramener de la réflexion dans nos actions pour accroître le champ des possibles. Le temps de reprendre conscience. Et reprendre confiance. Comme une baleine qui remonte à la surface faire le plein d'air frais avant de plonger gracieusement dans les profondeurs océaniques.
Lorsque je séjournais à Okinawa, au sud du Japon, j'avais profité de la grisaille hivernale pour passer quelques jours dans l'archipel Kerama sur l'île de Zamami afin d'y observer les baleines à bosse. Ces eaux chaudes étaient apparemment connues des mégaptères comme un lieu séculaire dédié à la reproduction. L'intensification de la chasse commerciale après la deuxième guerre mondiale à bien évidemment conduit à la disparition des baleines à bosses dans cette zone du globe. Pourtant, l'espèce ne s’est pas éteinte. Les baleines ont transformé leurs habitudes migratoires afin de s'adapter à cette menace. Durant un demi-siècle, elles ont cessé de venir se reproduire dans l'archipel. Et puis un jour, elles sont revenues. Dans le monde des hommes, leur chasse avait été bannie par le Japon en 2007. Elles ont progressivement réinvesti les eaux du sud nippon dès les deux années suivantes paraît-il, de mémoire d'insulaire. Je ne sais pas ce qui les a conduit à comprendre qu'elles y seraient à nouveau en sécurité après tout ce temps. Probablement pas l'oubli. La résilience peut-être? Ou plutôt la connaissance profonde de l'impermanence de toute chose qui décuple les facultés adaptatives de chaque être.
La conscience de l'impermanence nous enseigne la tolérance, la patience mais aussi la joie et la satisfaction. C'est dans la pleine conscience de l'impermanence d'un bonheur vécu que celui-ci prend toute sa valeur. On peut bien s'en attrister mais à quoi bon? Sa saveur n'en serait qu'appauvrie et il finirait quand même par s'évanouir. C'est également dans la conscience de l'impermanence de la souffrance que nous développons confiance et courage. Rien ne demeure inchangé. Tous les efforts que nous fournissons pour nous persuader du contraire sont autant de voiles de fumée qui nous maintiennent dans l'aveuglement rassurant de la toute puissance.
Alors, amis, asseyez-vous confortablement et prenez place à l'intérieur de vous-même. Inspirez l'air frais, relâchez les pensées viciées et plongez dans votre profondeur avec toute la grâce, le courage et la sagesse d'une baleine à bosse.
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